Le Centre national des arts plastiques (Cnap) a publié en juin 2025 son guide pratique consacré aux résidences d’artistes dans les arts visuels. Ce document de référence est enrichi cette année d’une étude sociologique. Que révèlent ces données ? Une offre encore limitée, des conditions d’accès inégales et des expériences souvent contrastées. Voici ce qu’il faut savoir si vous souhaitez tenter l’aventure des résidences.

- Une résidence artistique, c'est quoi ?
- Points essentiels à vérifier avant de candidater
- Résidences d’artistes : la réalité du terrain
- Quelques chiffres en résumé
- "Une résidence, c’est une parenthèse de travail intense et un tremplin" — Céline Achour
- Un guide de référence gratuit pour trouver des résidences
Une résidence artistique, c’est quoi ?
Les résidences artistiques occupent aujourd’hui une place importante dans le paysage culturel. Elles offrent un temps et un lieu dédiés à la recherche ou à la création, en dehors du cadre habituel de l’artiste. Le principe est simple : une structure — institution, centre d’art, association, école ou fondation — met à disposition un espace de travail, parfois un logement, et dans de nombreux cas un soutien financier, technique ou humain. L’idée est de permettre aux artistes de développer un projet dans un environnement favorable, dégagé autant que possible des contraintes matérielles.
Les formats de résidences sont variés. Certaines sont centrées sur la création pure, d’autres incluent un volet de recherche, d’expérimentation, de médiation ou d’échanges avec le public. La durée peut aller de quelques semaines à plusieurs mois. Les disciplines accueillies sont nombreuses : arts visuels, écriture, spectacle vivant, arts numériques…
Intégrer une résidence représente souvent une opportunité de rencontrer d’autres professionnels, de sortir de son territoire, de se confronter à de nouveaux publics et de bénéficier d’un accompagnement dans le développement d’un projet. C’est aussi un moment propice aux collaborations et aux croisements artistiques.
Chaque résidence possède sa logique propre. Vous devez donc vérifier l’adéquation entre votre démarche et le cadre proposé, afin d’éviter des contraintes qui pourraient limiter votre liberté créative. Une résidence peut ainsi devenir une étape précieuse dans un parcours professionnel, à condition de bien s’informer sur le dispositif, de clarifier les engagements réciproques et de veiller au respect des bonnes pratiques contractuelles et déontologiques..

Points essentiels à vérifier avant de candidater
Contrat et rémunération : une résidence doit s’accompagner d’un contrat écrit signé par les deux parties, précisant les activités attendues, la durée, les droits de diffusion et la rémunération prévue. Une résidence peut en effet donner lieu à différents types de rémunérations : bourse de résidence, prise en charge ou remboursement des frais de production, honoraires pour présentation du travail de l’artiste ou de son processus de création, honoraires pour l’animation d’ateliers, cessions de droits d’auteur, etc.
Conditions d’accueil : logement, atelier, accès aux équipements techniques, frais de déplacement et d’assurance doivent être précisés dès le départ. Un simple prêt de locaux ne constituent pas une « résidence » à proprement dit.
Fiscalité et aspects administratifs : pour les artistes venant de l’étranger, il est essentiel de se renseigner sur les visas, couverture santé et conventions fiscales. De même, si c’est vous qui vous partez à l’étranger.
Restitution et attentes : si, en théorie, la résidence n’impose pas toujours de résultat final, certaines structures attendent une restitution publique (exposition, rencontre, publication). Il est important de clarifier ce point avant de s’engager. Attention aux demandes trop importantes. Une résidence n’est pas destinée à effectuer de l’animation d’ateliers…

Résidences d’artistes : la réalité du terrain
Pour la nouvelle édition de son guide sur les résidences artistiques, le Centre national des arts plastiques (Cnap) a confié à la sociologue Isabelle Mayaud une enquête visant à déterminer dans quelles mesures les résidences sont importantes pour les artistes visuels en France. L’étude, menée entre 2023 et 2025, s’appuie sur les réponses de plus de 550 artistes auteurs à un questionnaire accessible en ligne. Les résultats sont parlants et correspondent bien aux vécus des artistes qui disent tous la difficulté de trouver une résidence.
Une offre encore trop limitée
Rapportée au nombre d’artistes visuels en France (estimé à plus de 100 000), l’offre de résidences reste très insuffisante : moins de 2 000 artistes en bénéficient chaque année. Pour la majorité, l’expérience demeure ponctuelle, avec une médiane de trois résidences au cours d’une carrière (c’est-à-dire que 50 % des artistes en France ont participé à moins de 3 résidences au moment où ils ont répondu au sondage). L’accès est donc difficile, et la résidence constitue un épisode isolé, un « épiphénomène », dans le parcours artistique.
Un accès inégal et sélectif
L’étude montre que le dispositif présente de grandes disparités à la fois en termes d’accès, de contenus. La sélection repose non seulement sur des appels publics à candidatures (38 % des résidences), plus rarement des candidatures spontanées (9 %), mais aussi sur des invitations directes (44 %). Ce dernier mode de recrutement pose parfois problème pour son opacité.
Monter un dossier de candidature demande un investissement important mais peu productif : 52 % des artistes déclarent avoir essuyé entre 1 et 15 refus, et 37 % plus de 16. Le manque de transparence dans les sélections, souvent attribué à un « effet de réseau », est fréquemment critiqué. Les artistes aimeraient connaître davantage les raisons des refus. Mais apporter des réponses argumentées semble compliqué à organiser pour les structures du fait du grand nombre des dossiers déposés.
Les contraintes personnelles sont aussi un frein : 87 % des artistes disent avoir renoncé à candidater au moins une fois, principalement en raison d’une bourse jugée insuffisante (72 %) ou d’impossibilités liées à la vie familiale ou professionnelle. Enfin, 53 % estiment n’avoir pas pu candidater à cause des limites d’âge, un critère pourtant discriminatoire.
Des expériences contrastées
Si le modèle de référence reste celui de la Villa Médicis, offrant temps, lieu et moyens sans obligation de résultat, dans la pratique, les situations sont très variées. Certaines résidences proposent un cadre protecteur et stimulant, d’autres imposent des contraintes fortes (production obligatoire, frais de participation, manque de soutien logistique).
Seule une minorité d’artistes (32 %) perçoit une bourse individuelle dédiée à la création, et 20 % des artistes déclarent n’avoir reçu aucune rémunération. Le montant varie fortement : de 200 € à 40 000 €, avec une médiane autour de 2 400 €. Les résidences exigent souvent des contreparties : 56 % des artistes doivent présenter publiquement leur travail, 34 % animer des ateliers pour enfants et 24 % des ateliers pour adultes. Certains témoignent même d’une « commande déguisée en résidence », ce qui limite la liberté créative.
Concernant le temps des résidences, les chiffres sont également très disparates. Cela peut aller d’une semaine à plusieurs années (avec des périodes fractionnées). Pour la majorité des artistes, une résidence dure environ un mois.

Quelques chiffres en résumé
=> Moins de 2 % des artistes visuels bénéficient d’une résidence chaque année
=> 3 résidences en moyenne dans une carrière
=> 44 % des artistes entrent en résidence sur invitation
=> 38 % via un appel à candidatures
=> 87 % ont déjà renoncé à postuler (bourses trop faibles, contraintes familiales ou pro)
=> 2 400 € : montant médian des bourses (avec des écarts de 200 à 40 000 €)
=> 20 % des artistes n’ont reçu aucune rémunération
=> 56 % ont dû présenter publiquement leur travail
=> 34 % ont animé des ateliers pour enfants
=> 75 % du temps de la résidence allouée à la création ou la recherche pour 50 % des artistes
Chiffres tirées de l’étude de la sociologue Isabelle Mayaud pour le Cnap

Parole d’artiste
« Une résidence, c’est une parenthèse de travail intense et un tremplin » — Céline Achour

Céline Achour à la résidence de Monthelon
Pour connaître son travail :
https://www.instagram.com/annapolis75
En 2025, Céline Achour a enchaîné deux résidences d’artistes : l’une au château de Monthelon, en Bourgogne, l’autre à la Maison d’Emma, près de Montpellier. Elle raconte ces expériences, entre isolement fécond, rencontres locales et immersion dans de nouveaux paysages.
Le Guide de l’artiste : Pouvez-vous nous parler des résidences que vous venez d’effectuer ?
Céline Achour : Oui, j’ai enchaîné deux résidences : d’abord au château de Monthelon, en Bourgogne, puis à la Maison d’Emma, près de Montpellier. C’étaient mes premières résidences, loin de mon environnement parisien. À Monthelon, mon séjour a duré trois semaines en mai. Le lieu était très isolé, mais il y avait d’autres artistes en résidence, plutôt des arts du cirque. À la Maison d’Emma, j’étais seule dans une habitation entourée de vignes. Une expérience très différente, mais tout aussi riche, d’une durée d’un mois et demi de juin à fin juillet.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de postuler ?
J’avais déjà candidaté plusieurs fois à des résidences sans succès. Ce qui m’attirait, c’était la possibilité de créer dans un autre contexte, la rencontre avec d’autres artistes et, bien sûr, la reconnaissance professionnelle qu’apporte ce type d’expérience. Selon moi, les résidences sont un atout dans le parcours d’un artiste contemporain.
Pourquoi pensez-vous avoir été retenue cette fois ?
Difficile à dire. J’avais récemment obtenu une dotation de recherche de l’ADAGP ; cela a peut-être pesé. À Monthelon, j’ai été prise sans contact préalable, alors qu’ils accueillent surtout des artistes du spectacle vivant. À la Maison d’Emma, c’est un collectionneur, président de l’association gérant cet espace, qui m’a invitée à postuler. J’ai déposé un dossier et j’ai été prise. On connaissait déjà mon travail, cela a peut-être facilité la candidature.
Comment s’est passée la sélection ?
Chaque appel à candidatures est différent. Cette fois, j’ai proposé le même projet aux deux lieux, adapté à leur contexte : peindre à partir de l’environnement dans lequel j’étais accueillie. Les dossiers demandaient visuels, texte de démarche et justification du projet. Monthelon offrait simplement le logement et l’atelier ; la Maison d’Emma prévoyait en plus une allocation de résidence
Y avait-il des obligations ?
Pas à Monthelon. Mais pendant la résidence, j’ai travaillé en partie sur la rédaction de mon mémoire de VAE*, j’ai proposé une présentation de celui-ci en fin de séjour. À la Maison d’Emma, une restitution publique était prévue. J’ai exposé huit toiles réalisées sur place et celles réalisées à Monthelon. Je les ai présentées aux habitants de la région et aux membres de l’association.
Comment s’organisaient vos journées ?
Au château de Monthelon, je partageais mon temps entre la rédaction de mon mémoire et la peinture. Je faisais régulièrement une promenade dans les alentours, dans les bois et les champs.
À la Maison d’Emma, je peignais quasiment huit heures par jour. Comme il faisait très chaud, je sortais peu. J’ai tout de même exploré les environs : les chemins de campagne, les vignes, un lac, des zones industrielles qui m’ont inspirée. J’ai aussi participé aux événements du village, ce qui m’a permis de rencontrer des habitants.
Qu’avez-vous retiré de ces expériences ?
Beaucoup : du temps pour peindre, de belles rencontres et un rapport renouvelé à mon travail. L’isolement peut être déroutant, mais il ne m’a pas dérangée. J’ai même commencé à utiliser du vert, couleur que j’employais peu ! Ces séjours ont vraiment nourri ma peinture.
Quels conseils donneriez-vous à un artiste qui veut candidater ?
Faire de la veille ! Je repère les appels sur Instagram, j’effectue des captures d’écran pour effectuer plus tard des recherches sur les résidences. Il faut postuler, mais de façon ciblée, en choisissant les structures adaptées à sa démarche. Les dossiers sont longs à préparer, car il faut répondre précisément aux attendus. J’y passe plusieurs jours.
Un dernier mot ?
Une résidence, c’est une parenthèse de travail intense et un tremplin. Cela demande une vraie préparation matérielle et personnelle. Il faut penser à tout l’équipement que l’on doit apporter sur place. La solitude peut être pesante. Mais c’est aussi une formidable manière de créer de nouveaux liens et d’ouvrir de nouvelles perspectives. La résidence à la Maison d’Emma m’a ainsi permis de visiter et de postuler pour un lieu d’exposition près de Montpellier. J’y aurai une exposition personnelle l’année prochaine.
* VAE : validation des acquis de l’expérience. La VAE permet aux candidats de faire reconnaître leurs compétences et leur expérience professionnelle pour obtenir, en totalité ou en partie, un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle.

Un guide de référence gratuit pour trouver des résidences
Le guide des Résidences d’arts visuels est un outil gratuit publié par le Centre national des arts plastiques à destination des artistes et des structures d’accueil et mis régulièrement à jour. L’édition 2025 rassemble notamment un index des différentes structures de résidence, une étude sociologique, un point sur les conditions d’accueil et de rémunération, ainsi qu’un contrat type et un modèle de cession de droits d’auteur. Ce guide est très complet. Je vous conseille de le télécharger avant de candidater.
https://www.cnap.fr/actualites/evenements/publication-du-guide-les-residences-darts-visuels

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L’AUTEURE
Valérie Auriel
Artiste peintre et journaliste, Valérie est une grande curieuse, assez perfectionniste (limite maniaque 😉 ). Elle met en synergie ses deux expériences professionnelles pour débroussailler la jungle administrative des métiers des arts visuels, explorer leurs coulisses. Et elle partage avec vous ses connaissances pour que vous exerciez votre art en toute sérénité !