Bonjour, Frédéric, pourquoi avoir conçu ces deux vidéos ?

Tout d’abord, de nombreux auteurs ne connaissent pas l’existence de ces logiciels, Glaze et Nightshade. Je trouvais important de les informer. Et beaucoup d’autres hésitent à les utiliser, car ils pensent qu’ils sont difficiles à manier. Le but de ces vidéos est de présenter chacune de ces deux solutions, d’expliquer concrètement comment s’en servir.

Une autre raison est plus militante. Utiliser ces logiciels, qui sont faciles d’accès, est une manière de montrer notre opposition aux intelligences artificielles. Si nous le faisons tous, c’est un signal fort vers les pouvoirs publics.

Peux-tu nous présenter ces deux logiciels ? Ils ont chacun des fonctionnalités différentes, même s’ils se ressemblent.

Glaze et Nightshade ont été développés par une équipe de chercheurs en informatique de l’université de Chicago, notamment le professeur Ben Zhao et Shawn Shan. Ces derniers ont vite pris conscience des problèmes posés par l’IA génératrice d’images pour les artistes visuels. Ils ont souhaité fournir une réponse concrète aux artistes qui se voyaient pillés sans pouvoir agir.

Les fonctionnalités de ces logiciels sont assez similaires : ils altèrent les images de manière quasi imperceptible pour les humains, mais perturbent la perception des machines qui les analysent pour nourrir leurs algorithmes. Glaze vise à protéger le style des artistes en modifiant imperceptiblement l’image. Nightshade est un outil plus offensif. Il trompe l’IA en lui faisant reconnaître des éléments absents de l’image, empoisonnant ainsi ses bases de données.

Peut-on utiliser ces deux logiciels en même temps ?

Oui, c’est possible. Les chercheurs envisagent une version web combinant les deux procédés, mais elle n’est pas encore disponible à l’heure où nous réalisons cette interview. En attendant, on peut de les utiliser successivement sur son ordinateur sans problème.

Le principal inconvénient est qu’il faut un ordinateur relativement puissant…

Effectivement, ces logiciels sont exigeants en ressources. Cependant, on peut les faire tourner la nuit lorsqu’on ne travaille pas sur son ordinateur. Une autre option est d’utiliser le site web proposé par les chercheurs. Les artistes doivent s’inscrire au préalable, ensuite ils soumettent leurs images sur le site et reçoivent le résultat modifié par e-mail.

Cette fonctionnalité est disponible pour Glaze et le sera sans doute ensuite pour Nightshade. Compte tenu de la forte demande, il peut y avoir un temps d’attente avant que votre inscription soit validée.

Ces logiciels sont-ils efficaces ?

Oui, ils fonctionnent bien. Mais, il faudra probablement des mises à jour régulières pour suivre l’évolution des logiciels d’IA. Malgré tout, ils constituent une réponse concrète à un enjeu important. Cependant, il n’y a pas de panacée dans ce domaine. Les différentes sociétés d’IA sont dans une recherche absolue et permanente de la donnée. Tout ce qui a été publié sur internet a sans doute été déjà aspiré. La question concerne l’avenir. Il faut les empêcher de continuer.

Pourquoi recommandes-tu aux artistes visuels d’utiliser ces logiciels ? Tu parles d’un acte militant dans tes vidéos.

Il existe différentes façons de réagir face à l’IA. Soit nous déprimons devant l’ampleur du problème, soit nous considérons que cela n’a aucune importance et que nous saurons nous adapter, soit nous faisons entendre notre voix. Nous pouvons le faire collectivement en participant à des colloques, en signant des pétitions, mais aussi individuellement.

Utiliser ces logiciels est accessible à tous et dépasse le cadre des artistes eux-mêmes. Il est possible de sensibiliser nos galeristes et maisons d’édition à leur utilisation, même si c’est parfois difficile de les convaincre. Plus nous sommes nombreux, plus l’impact sera grand.

D’un point de vue pratique, cela permet de protéger nos images quand nous les publions sur les réseaux sociaux, comme Facebook, Instagram ou TikTok. Il n’y a pas d’autres moyens de procéder. Sur un site internet, nous pouvons exprimer notre désaccord sur l’utilisation de nos données par les IA, c’est ce qu’on appelle l’opt-out. Par contre, nous ne pouvons techniquement pas le faire sur les réseaux. En utilisant Glaze ou Nightshade, c’est comme si nous apposions un filigrane virtuel ne visant que les IA.

Est-ce vraiment utile d’indiquer sur son site internet que l’on s’oppose à l’utilisation de ses données par les IA ?

En réalité, les aspirateurs de données ne vérifient pas si un opt-out est mentionné. Cependant, exprimer son opt-out renforce la légitimité d’actions futures menées par les syndicats et les organisations professionnelles. Ceux-ci pourront se référer aux artistes qui ont exprimé leur volonté de s’opposer. Leurs revendications seront mieux entendues par les pouvoirs publics. Indiquer son opt-out n’offre pas une protection totale, mais c’est un geste politique important. De plus, ce n’est pas très compliqué à faire, il suffit de mettre quelques phrases sur son site internet.

Une dernière remarque pour clore cette interview ?

Il est crucial de rester informé sur ce sujet. Il y a une prise de conscience croissante des pouvoirs publics, même si elle est loin d’être parfaite. Il est important de communiquer sur ces questions avec les organismes professionnels et les réseaux auxquels on appartient. Il est également nécessaire de prendre des pauses, car ce sujet peut être anxiogène. Trouver le bon équilibre entre sensibilisation et préservation de son bien-être est essentiel.